Vidéo Topiques. Tours et retours de l'art vidéo

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Proyectos expuestos
Descripción / Sinopsis

La vidéo en son temps 
par Patrick Javault (extrait, pp. 10-12)

Consacrer aujourd’hui une exposition à l’art vidéo [je n’ignore pas qu’en France, où la connotation prime sur la dénotation, il n’est plus d’usage de parler d’art vidéo et que l’on préfère dire aujourd’hui : la vidéo. Or, puisque cette dernière dénomination n’ajoute pas à la clarté, il faut bien désigner de quelque façon ce qui de la vidéo est diffusé par musées et galeries. C’est pourquoi, de même que lorsqu’on écrit sur l’art contemporain, on n’est pas obligé d’apporter sa définition à ce qu’est l’art contemporain, j’emploierai ici le terme art vidéo, par commodité, même si certains artistes qui figurent dans l’exposition ne se considèrent probablement pas comme des artistes vidéo.] et, circonstance aggravante, faire figurer « vidéo » dans son titre, alors que ce médium occupe une position prédominante, pourrait apparaître comme une façon d’arriver après la bataille ou, pire, à une obligation que notre jeune musée se devait de remplir. Une explication par conséquent s’impose. Alors que la présence de la vidéo est devenue aussi naturelle dans un musée que celle du téléviseur dans un foyer, il nous a paru intéressant d’interroger ce sentiment de léger engourdissement ou de torpeur qui fait suite à la reconnaissance d’un mouvement, d’un genre ou d’un médium. Art jeune, la vidéo a connu ces dix dernières années une telle expansion qu’elle a quelque chose d’épuisé, au point qu’une grande partie des vidéos qui s’exposent aujourd’hui affichent un détachement certain à l’égard de l’art vidéo et trouvent davantage leurs sources dans les usages et les pratiques quotidiens de cette technologie. « Topique », c’est d’abord le lieu, ensuite le lieu commun, et dans la tradition littéraire, le développement tout fait. Si l’anglais « topic » a le sens de thème, l’espagnol « topico » désigne lui un cliché. « Vidéo Topiques » se joue entre ces définitions et ces distinctions, c’est-à-dire que cette exposition s’offre autant comme une traversée, nécessairement trop brève, de la maison vidéo que comme une mise en lumière du lieu commun et de sa puissance créative à l’intérieur de ce médium. Croisant quelques-uns des thèmes majeurs de cet art à travers des œuvres historiques, dont des bandes archi-connues et malgré tout peu vues, l’exposition confronte celles-ci à des œuvres d’aujourd’hui, qui croisent ou revisitent cette histoire avec l’intention plus ou moins avouée d’en réactiver le feu et l’énergie. 

La fréquence des citations cinéphiliques dans la vidéo d’aujourd’hui, dont cela constitue le caractère saillant, alliée au fait que les artistes préfèrent se choisir pour pères Warhol ou Godard que Paik ou Viola, n’empêche pas que la vidéo, comme on dit à présent, continue d’œuvrer dans le cadre défini par l’art vidéo, comme on disait naguère. Confrontation étant à l’origine un terme de procédure criminelle, précisons tout de suite qu’il ne s’agit pas forcer le sens des œuvres ni d’asseoir une démonstration teintée d’aigreur — l’esprit des pionniers et l’utopie cathodique d’un côté, contre le désenchantement et l’easy watching de l’autre —, mais de rafraîchir quelques pistes oubliées ou négligées et de révéler certaines connexions. Enfin, c’est aussi l’occasion d’interroger cette mince frontière qui sépare la relecture du remake, ce dernier exerçant actuellement une étrange fascination, au point que le principe du less is more semble s’appliquer désormais à l’originalité. Aussi bien, l’âge héroï;que était teinté de désinvolture et de rébellion contre un médium froid et emblématique de la culture américaine, tandis que l’époque postmoderne se nourrit de l’utopie d’un art et d’un public radicalement transformés. [On remarquera à ce propos que si les artistes de la génération du cube blanc n’ont cessé de batailler pour avec leurs œuvres nous expulser du musée, la tendance générale serait plutôt aujourd’hui de tout ramener au musée : la séance télé/vidéo comme à la maison, la boîte de nuit ou la salle de cinéma (« Regardez comme notre culture et nos divertissements sont beaux et muséographiques »). À côté du cinéma de musée, thème saillant, on ne peut méconnaître la multiplication dans les expositions des signes de la convivialité, d’une revitalisation de la séance de télé entre amis.] 

Il n’est que de réviser un peu l’histoire de cet art né d’une technologie pour constater que les grands thèmes et les grandes orientations sont posés presque dès le début : abstraction aléatoire, brouillage d’images, violence de la télévision et de ses codes, luttes féministes, miroir électronique, sociétés de contrôle, ennui… Autant de topiques dont on trouvera des échos dans les œuvres réunies ici, sans qu’il soit besoin de désigner celle-ci comme liée au corps, celle-là à l’abstraction, les choses étant souvent un peu plus mêlées et complexes et le choix des thèmes rarement une décision des artistes. « Vidéo Topiques » est à cet égard aussi faussement thématique qu’historique. Reste que les pionniers dans l’usage du médium ont imposé un certain nombre de schémas, de choix de cadres, de schèmes d’intervention, qui doivent ou devraient figurer dans le manuel d’initiation de tout jeune artiste vidéo. 

Le tiraillement entre la télévision, dont il entend se démarquer mais dont les traits de ressemblance servent son propos subversif, et le cinéma auquel il ouvre un autre espace et un autre type de diffusion, s’il ne suffit pas à circonscrire le champ de l’art vidéo en est néanmoins la dynamique essentielle. En effet, la télévision, par le brouillage de ses images, la parodie ou le remontage de ses programmes, va trouver là une occasion de révéler une puissance esthétique ou conceptuelle, tandis que le cinéma expérimental, confronté au miroir électronique, va pouvoir flirter avec le divertissement. Nauman, s’inspirant délibérément des films de Warhol et de la musique de Riley, a voulu créer des films sans commencement ni fin, mais dont la présentation sur un moniteur laisse au spectateur-visiteur sa liberté de mouvement, là où, selon Warhol, Jonas Mekas devait attacher les spectateurs à leur siège. Quant à l’effet miroir, souvent cité par les artistes, puis théorisé ensuite par Rosalind Krauss dans son article « Vidéo : The Aesthetics of Narcissism », et que souligne le regard-caméra, il constitue probablement l’un des principaux axes de continuité dans la pratique de la vidéo. 

Quand un artiste pionnier comme Viola, pour qui la vidéo s’offre comme possibilité d’une synthèse de l’art occidental et de l’art oriental, semble s’écarter un peu de sa mission, il retrouve, comme dans Nine Attempts to Achieve lmmortality, l’esprit des commencements : l’interpellation directe, le regard dans le miroir et le goût des effets — mais mis au service de la prise de conscience et de l’éveil plutôt que de la fascination pour l’image sublime. Aussi intenses qu’elles soient, ces « neuf tentatives pour atteindre à l’immortalité » s’achèvent en une expulsion tonitruante qui prend des allures de cartoon. Jouant lui-même la scène sur un écran-voile suspendu, il adopte en cette occasion la distance de l’humour à l’égard de son propre travail, marqué par de tant de disparitions et de renaissances. 

L’histoire de l’art vidéo, on le sait, commence bizarrement avec Nam June Paik et Wolf Vostell martyrisant quasi simultanément des téléviseurs, le premier aux États-Unis, le second en Allemagne. Parallèlement à leur aspect art de laboratoire, le travail de Paik et, par suite, la vidéo ont conservé l’empreinte de ce prélude dans une perspective Fluxus. [Le modèle Paik était-il trop fort ? Il se trouve en effet que les œuvres de beaucoup d’artistes de la vidéo qui au cours des années 1970 et 1980 ont habillé leurs moniteurs pour en faire des sculptures ont aussi mal vieilli que les meubles hifi des années 1960. Le fait que la vidéo deviendrait le médium unificateur de l’art contemporain était, il est vrai, difficile à anticiper.] 

Plus bizarre encore, après cet aimant posé accidentellement au dessus d’un téléviseur et qui produit des déformations psychédéliques (Magnet TV), le véritable mythe fondateur est cette fameuse séquence disparue (et donc doublement mythique) de la visite du pape à New York enregistrée par Paik sur le premier modèle de caméra Portapak Sony. Ce qui est beau ici, et qui suffit à conférer au reportage amateur d’un badaud (certes à la pointe de l’innovation en matière d’équipement) un coefficient d’art, c’est bien la rencontre fortuite d’un artiste coréen, d’une caméra vidéo et d’un pape dans une rue de New York. Les débats théoriques qui s’engageront par la suite pour discuter de la valeur artistique de la vidéo et de ses différences avec le cinéma sont de peu de poids à côté d’une telle idée. 

Paik unique grand prophète de cet art et le seul sans doute à s’y identifier totalement, donne d’ailleurs bien souvent l’impression que ce qu’il aime dans la vidéo, c’est la télévision; rêvant la société du futur et la grande fraternité universelle par le câble et insérant ses images psychédéIiques dans des téléviseurs préhistoriques. Mais avant les entreprises mondialistes de type « Global Groove », il y eut ces grands gestes inauguraux à base de téléviseurs préparés, notamment Magnet TV, déjà évoqué, qui préfigure toutes les manipulations du video synthetiser, et Zen for TV, qui déjà prône la réconciliation avec l’emblème de la plus grande violence domestique. Cette approche très cagienne trouve un écho dans les travaux de ceux qui, tels Acconci, Fox, Jonas ou Nauman, véritables artistes d’essai, vont explorer le potentiel et la nature de ce nouveau médium en usant de leur seul corps et de leur seul regard. 

À une époque, les années 1970, où l’on veut élargir les frontières de l’art, conjuguer expérience esthétique et expérience tout court, ainsi que réduire la distance avec le public, le choix de la vidéo a un aspect négatif, largement compensé, il est vrai, par le comique des situations inventées par les artistes performers. La caméra est un enregistreur passif, et le cadre de l’image une manière d’éprouver et de faire éprouver au spectateur les limites de la représentation : explorer à la fois le versant négatif de l’art, son caractère aplatissant et réducteur, et poursuivre le projet moderne en tentant de révéler l’essence de ce médium par toutes sortes de tests. 

Alors que dans l’imaginaire commun, la vidéo représente la liberté et le rêve du cinéma à la portée de tous, pour les artistes, c’est d’abord la contrainte et l’enfermement, mais aussi le mode et l’espace privilégiés d’une réflexion sur l’art hors limites. C’est Acconci qui pointe son doigt vers lui, via le moniteur de contrôle, et donc vers nous (Centers), C’est Nauman sautant la tête en bas (Bouncing in the Corner, n°1) ou épousant avec son corps les bordures du cadre (Wall-Floor Positions), c’est Campus incitant le visiteur à disparaître dans le mur pour faire image (Mem), ou un peu plus tard, McCarthy aplatissant son visage contre une vitre pour donner l’illusion de le faire contre l’écran. Il est clair que tous ces artistes mettent en scène ou miment une crise de la représentation, et que leurs démarches tiennent encore par quelque lien à une réflexion générale sur le tableau et, plus généralement, sur l’image. Leurs gestes font se rencontrer l’élan des peintres d’action dans leur conquête de l’espace avec les guérillas menées contre la télévision et les systèmes de surveillance qui commencent à se mettre en place. Si le minimal art était déjà jugé comme théâtre, manière de mettre en scène, avec un présupposé gestaltiste ou phénoménologique, la relation du spectateur à l’œuvre, la vidéo sera le moyen d’être encore plus explicite, et de jouer sous forme de petites scènes ou séquences les concepts et attitudes de l’art de leur époque. Par ailleurs, les films de Namuth montrant Pollock dans son atelier ont eu, on le sait, un rôle essentiel dans l’élaboration des happenings et performances, au point d’être devenus quasi indissociables de l’œuvre du premier grand mythe artistique américain. Ainsi, lorsque John Baldessari, avec le sérieux d’un présentateur de télévision, déclare après chacun de ses gestes qu’il fait de l’art (I Am Making Art), ou lorsque Les Levine justifie son indifférence au spectacle de la rue en répétant qu’il est un artiste (I Am an Artist), ils jouent à ce qui arriverait si l’art conceptuel recevait la reconnaissance des médias. L’adresse à la caméra, dont l’usage cinématographique est généralement porté au crédit de Godard, est sans doute la plus grande figure de lexique de la vidéo. En regardant ainsi le public à travers la caméra, c’est la violence de la télévision qui est retournée contre elle-même. « La télévision nous a attaqué toute notre vie. Aujourd’hui, nous pouvons l’attaquer à notre tour », avait annoncé Paik. Les video-performers nous rappellent ce que la distinction entre une vidéo documentariste héritière de Vertov et un art vidéo découlant des formalistes a de discutable, aussi discutable que l’injonction régulièrement faite à l’art d’être un commentaire sur quelque chose.

Extraído de: <http://www.paris-art.com/video-topiques/>

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